La communauté radioamateur retiendra la date du 11 février 2016 comme celle de la première liaison vidéo numérique haut débit entre la Station Spatiale Internationale et des élèves d'une école anglaise dans le cadre d'un programme de promotion des sciences et des techniques. On imagine les efforts nécessaires, durant plus d'une décennie, pour concevoir ce système, le financer, le faire approuver par les agences spatiales, industrialiser les équipements, les envoyer en orbite et les faire installer à bord de l'ISS. Et pour déployer dans une école une station de réception temporaire capable d'assurer un contact direct fiable avec l'ISS, il faut également mobiliser des volontaires compétents et du matériel sophistiqué.
D'un côté, ces réussites illustrent les bienfaits de la coopération à l'échelle internationale et du travail en équipe. D'un autre côté, elles sont à l'opposé d'une certaine image du radioamateur polyvalent et autonome, capable de communiquer avec le monde entier avec seulement ses connaissances, ses compétences et le matériel qu'il aura de préférence conçu et fabriqué lui-même à bas coût. C'est pourquoi, après avoir entendu parler du projet HamTV mi-2015 et découvert le budget nécessaire pour construire une station de réception, j'ai cherché à rendre ce nouveau mode de transmission radioamateur plus accessible. Mes essais sont relatés dans [SOFTDATV] et le présent projet constitue la solution la plus aboutie.
HAMPADS est un système de suivi de satellites en orbite basse et de réception HamTV construit à partir de composants industrialisés et commercialisés à grande échelle, donc peu coûteux. Il n'a pas vocation à concurrencer les solutions traditionnelles du point de vue de la sensibilité, de la fiabilité ou de la consommation électrique, mais plutôt à faire découvrir le radioamateurisme moderne et les techniques de traitement du signal.
Avec quelques modifications, il pourrait également servir à d'autres applications telles que :
- communication en TV numérique d'amateur entre stations terrestres mobiles ;
- réception de télémétrie basse puissance depuis des ballons stratosphériques ou fusées amateur ;
- réception en direct de vidéo numérique HD depuis des aéromodèles, par exemple dans des courses de drones ;
- identification de drones non identifiés (une antenne très directionnelle peut associer une transmission radio à un aéronef particulier) et triangulation de leurs trajectoires (avec plusieurs stations au sol).
"HAMPADS" est une allusion à l'acronyme "MANPADS" qui désigne des lance-missiles également portés à l'épaule. C'est une façon de garder à l'esprit que de nos jours, en exhibant des engins inhabituels devant des spectateurs non avertis, on risque de causer des troubles à l'ordre public.
L'appareil est évidemment inoffensif. Ce n'est qu'un récepteur de télévision satellite adapté pour recevoir des émetteurs en orbite basse plutôt que des satellites géostationnaires.
L'ISS émet généralement sur 2395 MHz un signal DVB-S de 10 W PIRE modulé en QPSK à 2 Msymboles/s avec FEC=1/2 (voir [SOFTDATV] pour plus de détails).
Une station de réception HamTV comprend généralement un rotor d'antenne piloté par ordinateur capable de pivoter à 5°/s avec une précision de 2°, une parabole de 90..120 cm avec une tête à polarisation circulaire, une carte DVB-S PCI TechnoTrend dans un PC sous Windows, et le logiciel Tutioune de F6DZP. Cette section fait l'inventaire des fonctions matérielles et logicielles requises, et explique comment réduire les coûts.
Tableau 1. Budget pour des stations de réception HamTV
Traditional ground station | Minimum configuration | Tested configuration | Work in progress | |||||
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Reflector | 90..120 cm dish | Scrap satellite TV dish (nonmagnetic) | TP-Link TL-ANT2424B (100x60 cm, 24 dBi) | $50 | DIY reflector | |||
LNB | S-band to L-band downconverter | $65 | BOTE BT-281B | $12 | BOTE BT-281B | $12 | BOTE BT-281B | $12 |
Feed | Helical feed | Integrated dipole of BT-281B | Integrated dipole of BT-281B | DIY helical feed | ||||
RF cable 1 | 50 cm F-type cable | $6 | Right-angle F-type adapter , 50 cm F-type cable | $10 | Right-angle F-type adapter , 50 cm F-type cable | $10 | ||
Bias tee | Built into DVB-S card | BT-288K | $5 | Satellite TV Line Power Inserter | $15 | Satellite TV Line Power Inserter | $15 | |
LNB power supply | Built into DVB-S card | Mains adapter supplied with BT-288K | 14.4 V NiMH battery pack | 14.4 V NiMH battery pack | ||||
RF cable 2 | F-to-MCX cable | $6 | F-to-SMA adapter | $5 | F-to-SMA adapter | $5 | ||
Receiver | TechnoTrend PCI card | $100 ? | RTL-SDR R820T2, MCX, plastic | $10-$15 | RTL-SDR R820T2, TCXO, SMA | $25 | RTL-SDR R820T2, TCXO, SMA, aluminium | $25 |
Receiver power supply | From PC | USB from tablet/laptop | Powered USB hub or splitter cable | USB Accessory Charger Adapter | ? | |||
Tracking and pointing | Az/El antenna rotator | $800 ? | Smartphone with satellite tracking app | Linux tablet with custom software | Android phone with HAMPADS app | |||
Signal acquisition | Windows PC | Linux laptop with gqrx | Linux tablet with gqrx, USB OTG cable | Android phone with HAMPADS app | ||||
Phone/tablet power supply | Built-in battery only | Built-in battery only | USB Accessory Charger Adapter |
La prédiction d'orbites est un sujet bien connu chez les radioamateurs et les astronomes. On trouve facilement sur Internet des algorithmes, des logiciels gratuits et des paramètres orbitaux récents.
Dans une station de réception HamTV traditionnelle, le rotor Az/El est généralement le composant le plus coûteux. Un rotor fait maison reviendrait peut-être moins cher qu'un produit sur étagère, mais cela sort du cadre de ce projet. L'alternative la plus évidente est de pointer l'antenne à la main. Après tout, de nombreux radioamateurs contactent des satellites sur 2 m et 70 cm avec des antennes Yagi tenues à la main. Malheureusement le bilan de liaison pour HamTV exige des antennes très directionnelles. Le pointage doit être précis à quelques degrés près.
Notons qu'une antenne fixe, correctement positionnée, peut fournir 10 à 20 secondes de signal pendant un passage au zénith. Voir [IZ8YRR] et [SOFTDATV]. C'est suffisant pour débuter et s'émerveiller de voir le signal sortir du bruit de fond à l'heure exacte prédite par les simulations d'orbites.
Ma solution s'appuie sur les applications mobiles qui affichent une vue du ciel en réalité augmentée. Exploitant le GPS, le capteur d'inclinaison et la boussole des téléphones modernes, ces logiciels permettent à n'importe qui de localiser des satellites (et de nombreux objets célestes) en pointant leur téléphone vers le ciel et en suivant des indications sur l'écran. Si l'on attache une antenne au téléphone, elle pointera elle aussi vers le satellite sélectionné. Cette idée n'est pas nouvelle : voir par exemple cette vidéo de HB9EYY en 2012 qui utilise une appli appelée "Satellite AR".
J'ai fini par écrire mon propre logiciel de pointage pour Linux. La simulation des orbites s'appuie sur le module Python PyEphem, qui est dérivé du logiciel bien connu XEphem de WB0OEW. Malheureusement le système de pointage ne fonctionne que sur une tablette particulière (Lenovo Yoga Tab 2 modifiée sous Linux) parce qu'il nécessite des pilotes dédiés pour les capteurs inertiels et magnétiques.
J'ai choisi une antenne WiFi 2,4 GHz 24 dB TP-Link TL-ANT2424B plutôt qu'une parabole satellite, principalement parce qu'elle était relativement peu coûteuse et commercialisée à grande échelle.
Avec l'orientation visible dans les photos, le diagramme de rayonnement est aplati horizontalement. Ce choix est dicté par la précision du système de pointage: l'azimuth, déterminé magnétiquement, est généralement moins précis que l'élévation, mesurée par des capteurs inertiels.
Après quelques évolutions du projet, cette antenne est devenue l'élément le plus coûteux, et je n'utilise même plus sa tête 2.4 GHz d'origine. Il est donc pertinent d'étudier des alternatives. N'importe quelle parabole de TV satellite suffisamment large pourrait convenir, mais ces produits ont généralement une géométrie désaxée. Ceci complique l'assemblage et l'alignement. Notons qu'il est préférable de choisir des matériaux non ferreux car les capteurs magnétiques du système de pointage seront installés à proximité.
En étudiant les activités radioamateur en bande S, j'ai trouvé des articles de M0DTS, G0ORY et JN1GKZ mentionnant les convertisseurs MMDS.
Le modèle BOTE BT-281B s'est révélé capable de recevoir les signaux HamTV, mais sa sortie est au voisinage de 400 MHz, soit très en dessous de la plage acceptée par les récepteurs DVB-S du commerce. Heureusement cette fréquence est à la portés de récepteurs SDR peu coûteux (voir plus bas).
Par ailleurs le BT-281B est livré avec une antenne dipolaire intégrée. Les bricoleurs avertis pourront la remplacer par une antenne hélicoïdale pour gagner 3 dB. Dans ce cas il faut utiliser une vraie parabole plutôt qu'un réflecteur à grille.
Un récepteur de TV satellite comporte un étage d'entrée analogique, un démodulateur DVB-S et un décodeur MPEG. Il s'avère que les récepteurs dits "RTL-SDR" sont capables de capturer les signaux HamTV transposés vers 400 MHz. On peut ensuite traiter les échantillons I/Q avec un démodulateur DVB-S logiciel. Il en résulte un flux MPEG qui peut être décodé et affiché par divers logiciels.
Alternativement, on peut enregistrer les échantillons I/Q sur disque et les démoduler plus tard. En SDR, on peut continuer à s'amuser même lorsque l'ISS n'est plus en vue directe. On peut améliorer la qualité vidéo en ajustant les paramètres du démodulateurs, en filtrant des interférences à main, etc. Par ailleurs, comme pour d'autres types de transmissions numériques, il est possible d'assembler des fragments provenant de plusieurs chaînes de réception (voire de plusieurs stations) pour reconstituer un flux vidéo sans erreurs.
Les récepteurs RTL-SDR peuvent échantillonner jusqu'à 2,4 MHz (au delà, on pert des données). De plus, le filtrage anti-repliement atténue le signal aux extrémités du spectre, ce qui réduit la bande passante utile. Les signaux DVB-S de l'ISS occupent 2,7 MHz de spectre radio. Heureusement la modulation n'utilise que 2 MHz et le reste correspond au roll-off. Il est remarquable que l'on puisse démoduler un signal QPSK avec à peine plus d'un échantillon I/Q par symbole.
Les récepteurs RTL-SDR sont généralement fournis avec une connectique MCX. Certaines variantes ont un connecteur F à la place. Les modèles destinés à la radio SDR ont souvent un connecteur SMA.
Dans ce projet le signal est amplifié par la tête MMDS. Le choix des connecteurs et des câbles aura donc probablement peu d'effet sur les performances.
Certaines récepteurs RTL-SDR peuvent injecter 5 V dans le câble coaxial. C'est utile pour des antennes actives DVB-T et GPS. Malheureusement les têtes satellite et MMDS nécessitent 13 V ou 18 V.
Le convertisseur MMDS BT-281B est parfois vendu avec un injecteur compatible, référencé BT-288K. Ce dernier est fourni avec un adaptateur secteur 18 V 300 mA. L'électronique de la tête comporte un régulateur linéaire 8 V 500 mA (78M08). N'importe quelle tension entre 12 V et 18 V devrait donc convenir.
Pour l'utilisation portable j'ai ajouté douze accumulateurs AA NiMH (14,4 V 2500 mAh). Ils sont installés à l'extrémité arrière de la perche afin d'équilibrer le poids de l'ensemble sur l'épaule.
Les récepteurs RTL-SDR sont généralement alimentés par leur hôte USB. Le mien consomme 70 mA au repos et 270 mA en fonctionnement. Pour soulager l'hôte USB, on peut brancher le récepteur via un concentrateur USB alimenté par les même accumulateurs que la tête MMDS.
J'ai aussi testé un câble USB OTG en "Y" équipé d'une fiche A en plus de la fiche micro-B et de la prise B. La fiche A est branchée dans un adaptateur USB automobile alimentable en 12..24 V. Cependant la conception de ce câble en "Y" ne semble pas satisfaisante d'un point de vue électrique.
Les applications de traitement du signal font tourner les processeurs à plein régime, et par ailleurs la luminosité de l'écran sera souvent réglée au maximum pour une utilisation à l'extérieur. Il est donc souhaitable d'alimenter l'appareil par une source externe. Malheureusement les téléphones et tablettes ont souvent un seul port USB, et ne peuvent donc pas se charger pendant qu'un récepteur RTL-SDR est connecté.
En théorie la norme USB Accessory Charger Adapter permet à un appareil de se charger tout en se comportant comme un hôte USB OTG, mais il est difficile de déterminer quels téléphones et tablettes s'y conforment.
Un chargeur sans fil (donc à induction) à proximité de capteurs magnétiques et de circuits radio n'est a priori pas une bonne idée, mais cela pourrait résoudre le problème en pratique.
Les premiers essais ont été réalisés pendant la mission "Principia" de l'astronaute britannique Tim peake. Des contacts vidéo ARISS entre Tim Peake et plusieurs écoles étaient planifiés pendant que l'ISS passait au dessus du Royaume-Uni. J'ai pu enregistrer le tout premier contact ARISS le 11 février 2016, à une élévation maximale de 47° depuis la France. Le rapport signal/bruit n'était pas suffisant pour démoduler en temps réel avec leandvb, mais j'ai obtenu plus tard 11 MB de flux MPEG à l'aide d'un démodulateur logiciel plus sophistiqué (gr-dvb).
Lors du dernier contact "Principia" le 9 mai 2016, la météo était favorable et l'élévation a atteint 67°. Ceci a permis de démoduler et décoder en temps réel 16 Mo de flux MPEG (soit environ 70 s).
Les essais reprendront pendant la mission "Proxima" du spationaute français Thomas Pesquet.
Le radioamateurisme ne se limite pas à recevoir des programmes de TV, fussent-ils émis par une station spatiale. À ce jour l'ISS n'est pas équipée pour recevoir des modes vidéo amateurs. Mais on peut ajouter un canal audio VHF montant avec un émetteur-récepteur portable et une antenne directionnelle solidaire de la parabole.
N.B. : Le trépied ne fait pas partie du système. L'utilisateur doit porter l'ensemble à l'épaule et suivre la trajectoire de l'ISS dans le ciel. À cette hauteur, une antenne Yagi 144 MHz de 3 mètres pivote librement dans le plan vertical. La masse totale est d'environ 10 kg.
Est-il possible de recevoir les signaux HamTV encore plus facilement ou pour moins cher ?
Tout d'abord, nous pourrions combiner toutes les fonctions logicielles (prédiction d'orbites, pointage, démodulation DVB-S et décodage MPEG) dans une même application pour téléphone mobile.
Ensuite, nous pourrions fabriquer des réflecteurs avec du papier aluminium.
Enfin, notons que les téléphones modernes contiennent déjà plusieurs radios (FM, GSM, 3G, LTE, Bluetooth, Wi-Fi, GPS). Les fabricants rechignent à publier la documentation de leurs composants, mais certains d'entre eux pourraient vraisemblablement être reprogrammés pour servir de récepteurs SDR. On pourrait alors recevoir les signaux HamTV simplement en plaçant un téléphone au foyer d'un réflecteur parabolique.
[IZ8YRR] HamTV reception with a low gain antenna . 2014. http://www.amsat.it/HAMTV%20reception%20with%20a%20low%20gain%20antenna%20-%20IZ8YRR%2020150714.pdf.
[SOFTDATV] Réception logicielle des transmissions vidéo numériques de la Station Spatiale Internationale . http://www.pabr.org/radio/softdatv/softdatv.fr.html .
[LEANDVB] leandvb : Un démodulateur DVB-S logiciel simple et rapide . http://www.pabr.org/radio/leandvb/leandvb.fr.html .